Insomnie
4 min 58 s
Cela commença à quatre heures
trente sept du matin ; ou plutôt devrais-je
dire « cela s’arrêta » à quatre heures trente
sept du matin. Une nouvelle insomnie
m’avait laissée les yeux ouvert, la
mâchoire tendue, au milieu d’un silence plus
profond que d’habitude. On allait vers l’été,
et d’ordinaire, à quatre heures trente sept
du matin, perçaient les premiers chants
d’oiseaux, tandis que se devinait le jour
naissant. Mais pas ce matin-là.
Devais-je encore dire le mot
« matin » d’ailleurs, puisqu’au coeur de ce
silence lourd, ouaté, pesant à l’interieur du
crâne, nulle lueur annonciatrice de soleil
n’apparaissaient. Les minutes, les quarts
d’heures défilaient, dans le silence et
l’obscurité persistante, tandis que s’allumaient,
une à une, les fenêtres du batiment, comme
en plein hiver
A huit heures, et il était bien
huit heures, le réveil, la montre, les
pendules, la radio, l’horloge parlante même, le
confirmaient, à huit heures, en ce mardi 26
mai 2012, sans que personne n’ose le dire à
haute voix, encore moins ne l’échange avec
son voisin de palier, d’ascenseur, de rue, de
métro, de bureau, il fallût bien se rendre à
l’évidence : depuis quatre heures trente
sept, la terre s’était arrêtée de tourner.
Panne? Mouvement de colère?
Fatigue subite? La vieille dame s’était
bloquée, plongeant les uns dans un jour
sans fin, et les autres dans une nuit de
durée équivalente. Bonheur ou malheur,
nous étions à Créteil, et assurément dans
un grand nombre de communes
avoisinantes, du côté de la nuit.
Etait-ce à dire que l’on pouvait
rester au lit à volonté, se dispenser d’aller
travailler, avoir enfin tout son temps pour
lire, écrire, composer, écouter de la
musique, voir et donner des spectacles,
faire la fête avec des amis, brûler à deux
d’inépuisables tendresses, et s’abandonner
avec délice au sommeil d’autant plus
savoureux qu’il n’était plus compté?
Le nouveau gouvernement avait
bien des décisions à prendre dans les jours
à venir, ou plutôt dans les nuits a venir.
Personnellement, j’avais déjà mon idée sur
la question.
Texte:Christiane Bélert
Musique:Patrick Pernet